Même dans un monde affecté par les crises écologiques, il ne tient qu’à nous de construire une société prospère, dont les membres peuvent toutes et tous accéder à la liberté, la justice, la santé et l’éducation, et atteindre leur plein potentiel. Le monde où nous vivons nous permet de construire une société où liberté, justice, santé et éducation sont abondantes pour tous, une société prospère où chacun pourra atteindre son plein potentiel. Le changement climatique et l’effondrement de la biodiversité nous obligent à réinventer nos modes de vie – faisons en sorte qu’il en ressorte une société de la prospérité partagée !
Ce mot de prospérité peut interpeller : le PIB de la France n’est-il pas à son plus haut niveau historique ? Les taux d’équipements en voiture, téléphones portables et télévision des ménages français sont respectivement 84% , 95% et 95%. Ces chiffres incroyables sont les signes d’un formidable développement matériel. Malgré ces réalisations, nous ne sommes pas dans une société de prospérité : les craintes concernant l’avenir minent le moral des jeunes, l’horizon professionnel est toujours plus déterminé par l’origine sociale, l’accès à l’éducation est terriblement inégalitaire et les menaces sur notre système de santé s’accumulent, comme documenté par exemple par France Info.
Comment concilier ces deux aspects de notre vie ? Loin d’être une sorte de paradoxe, il ne s’agit que du résultat naturel d’une organisation économique qui privilégie la croissance du PIB et la maximisation du profit au lieu de chercher à atteindre une véritable prospérité. La situation actuelle est donc un succès indiscutable au vu des objectifs poursuivis. Demandons-nous : une personne âgée, malade et inquiète pour l’avenir de ses enfants et de ses petits-enfants, qui est cependant aisée, est-elle véritablement prospère ? Notre économie regorge d’emplois qui dessèchent ceux qui les occupent, persuadés de l’inutilité de leurs fonctions. Dans le même temps, l’éducation et la santé souffrent du manque d’investissements et d’effectifs. Aux yeux du PIB, qui agrège le superflu des uns et la survie des autres, l’objectif est pourtant atteint : la misère morale des uns est « source de richesse », l’écrasement des autres réduit les « charges sociales » au minimum.
Pour nous, la véritable prospérité ne peut exister qu’au niveau de la société entière. Au lieu de laisser s’accumuler les profits entre les mains de celles et ceux qui sont rassasiés, il s’agit de donner une « marge de manœuvre » à chacun. De cette façon, chacun pourra choisir de consacrer cette « marge » comme il ou elle l’entend, en s’engageant dans une association, en approfondissant son éducation, peut-être en créant une entreprise ! De cette façon, la liberté d’association prendra un sens nouveau et plus profond qu’aujourd’hui – car l’action nécessite des moyens pour s’épanouir.
Construire cette « marge » pour toutes et tous permettra d’ouvrir un espace de liberté véritable, là où aujourd’hui les décisions d’une minorité s’imposent à la majorité. Pour obtenir cette marge, nous devons également utiliser les ressources dont nous disposons au mieux. Cependant, cette bonne gestion des ressources signifie également que nous pourrons offrir des solutions simples, accessibles à tous !
Une première piste dans cette direction est de privilégier la mise en commun et la location pour les biens utilisés occasionnellement. Un exemple concret est le cas des perceuses : avec une durée d’utilisation effective de 11 min, les magasins de bricolage pourraient proposer des outils de qualité, loués suivant les besoins, plutôt que de favoriser un modèle où chacun achète son propre outil et ne l’utilise pour ainsi dire jamais. Cette approche est beaucoup plus économe en ressources, mais va de pair avec une diminution du profit et du PIB. Ajoutons que de cette façon, chacun pourra bénéficier des conseils nécessaires pour réaliser ses travaux. On peut même aller plus loin et espérer la formation d’associations de partage des outils, qui seraient des lieux de convivialité autour d’intérêts partagés.
Toujours dans cette optique de meilleure utilisation des ressources, avec l’objectif de dégager des marges à partager : l’isolation des bâtiments présente un gisement considérable de gains d’énergie ! En développant ce secteur d’activité, nous pourrons :
- créer des emplois utiles et de qualité,
- améliorer les conditions de vie de nos concitoyens,
- dégager des marges au niveau de notre consommation énergétique.
Là encore, l’idée est de mieux utiliser l’existant afin d’en dégager une marge de manœuvre nouvelle. Optimisons plutôt que de créer de nouvelles centrales électriques – au détriment du PIB et des profits de certains, mais en créant une prospérité nouvelle au niveau de la société.
Est-il nécessaire de préciser que l’éducation est un point essentiel d’une économie prospère ? Le modèle d’un enseignement privé coûteux et par conséquent discriminant et réservé à certains ne peut pas nous satisfaire : il représente une restriction de la liberté de celles et ceux qui s’endettent pour y participer et une entrave plus grave encore pour celles et ceux qui ne peuvent pas y participer. Les ménages français qui ont dépensé plus de 8,5 Md€ en 2019 (1) dans les enseignements de type scolaires et extrascolaires l’indiquent clairement : les Français sont prêts à payer plus pour l’éducation – pourquoi le gouvernement n’est-il pas prêt à en faire autant ?
Pour organiser une société prospère, il est également nécessaire de réduire l’espace accordé à la publicité. Les moyens à utiliser sont à préciser, imposer les dépenses de publicité paraît une approche prometteuse. Alors que nous sommes dans une situation de surconsommation de nos ressources, ce secteur souffle sur la braise des appétits et des inégalités. Nous vivons dans une économie de pénurie, car maximiser le profit passe par ignorer une partie de la demande. Pour passer à une société de la prospérité partagée, refusons de créer des besoins artificiels ! Là encore, ces mesures se feront au détriment du PIB – mais amélioreront d’autant notre prospérité partagée.
Enfin, le point central est la question du coût de la vie : nous voyons déjà les effets néfastes du changement climatique et de l’effondrement de la biodiversité. Les coûts associés ne vont faire que s’accumuler, que nous choisissions l’inaction (et donc des catastrophes de plus en plus coûteuses) ou l’adaptation – qui nécessitera des budgets importants. Directement ou indirectement, ces dépenses supplémentaires vont se traduire par des prix plus élevés.
En choisissant une société de prospérité partagée, nous devrons relever les bas revenus. Avec des solutions simples et économes comme celles indiquées ci-dessus, nous pourrons créer et préserver cette « marge de manœuvre » qui fonde la prospérité commune et la liberté effective de tous.
En revanche, en choisissant la maximisation du PIB, ce type de solution ne pourra pas se développer – il s’agit de réduire le PIB après tout – et la dégradation des conditions de vie des plus modestes sera d’autant plus forte.
Pour conclure, une société de prospérité partagée est possible dès aujourd’hui. Elle passe par le choix de l’efficacité dans l’utilisation des ressources et par une simplicité incompatible avec la maximisation du profit et du PIB. Pourtant, la véritable abondance est de permettre à chacune et chacun d’accéder à une éducation et un système de santé de qualité, tout en disposant d’une « marge de manœuvre » pour vivre sa vie de façon libre et autonome, avec la possibilité de se mobiliser pour le ou les projets qui lui tiennent à cœur. En s’organisant tous ensemble, nous pourrons ainsi trouver la prospérité dans la simplicité !
Olivier GABRIEL
Références
(1) Source : Ministère de l’éducation nationale, « Repères et références statistiques », 2021, chapitre 9.02, tableau 4 p. 335 (https://www.education.gouv.fr/media/92837/download).